
Il est parti « comme ça », dans l’après-midi du 4 avril 2025, à Bamako. Amadou Bagayoko, légendaire guitariste malien et moitié du duo mythique Amadou & Mariam, s’est éteint à 70 ans, des suites d’une maladie. À la maison familiale de Bamako, les voix se sont tues, les larmes ont coulé, et les chapelets ont accompagné son âme. L’Afrique musicale est en deuil. Le monde aussi. Car Amadou n’était pas seulement une voix du Mali, il était un fil conducteur entre les continents, entre les genres, entre les cœurs.
Une rencontre fondatrice
Tout commence en 1976, à l’Institut des jeunes aveugles de Bamako. Amadou a 21 ans, Mariam Doumbia en a 18. Lui est guitariste dans le groupe de l’Institut, elle est chanteuse. Tous deux aveugles, ils partagent bien plus qu’un handicap : une passion commune pour la musique, de la tradition bambara au rock, du blues au reggae. C’est là que se forge leur complicité musicale et amoureuse. Ils se marient en 1980, et auront trois enfants, dont Sam, futur membre de SMOD.
Les débuts d’un duo unique

Leur style ? Afro-blues-rock, comme le qualifiait Amadou : un savant mélange de rythmes traditionnels, de guitares saturées, de mélodies entêtantes et de paroles simples mais poignantes sur la vie, la pauvreté, l’amour, l’espoir. Au Mali, ils se font vite remarquer, tournent dans la sous-région, enregistrent des cassettes.
C’est en 1998 qu’ils se révèlent au public français avec le titre "Je pense à toi", véritable porte d’entrée dans l’Hexagone. Le succès est encore modeste, mais la voie est tracée.
La rencontre avec Manu Chao : la métamorphose
En 2004, tout bascule. Ils croisent la route de Manu Chao, musicien globe-trotteur, ex-leader de Mano Negra, chantre du métissage sonore. Ensemble, ils donnent naissance à Dimanche à Bamako, un album qui deviendra une œuvre culte. Manu Chao ne se contente pas de produire, il imprègne l’album de son style : voix murmurées, chœurs en écho, samples de rue, rythmiques chaloupées. Le disque déborde de vie.
"Les dimanches à Bamako, c’est le jour des mariages"… Une phrase qui devient hymne. L’album explose : plus d’un million de copies vendues, une Victoire de la musique, des BBC Awards, des tournées mondiales. Le duo passe des scènes africaines aux festivals européens, aux premières parties de Coldplay (2009) ou U2 (2011), jusqu’à jouer pour Barack Obama à Oslo lors de la remise de son prix Nobel de la paix.
SMOD : la relève et la transmission

Amadou et Mariam n’ont pas seulement transmis leur art au monde, mais aussi à leur fils, Sam, fondateur du groupe SMOD (acronyme de Sam, Mouzy, Ousco, Donsky). En 2010, le groupe sort un album produit… une fois encore, par Manu Chao. Le mélange de hip-hop, de folk et de musiques maliennes séduit. C’est une continuité, une nouvelle génération qui porte l’héritage du métissage musical familial.
L’héritage d’Amadou
Amadou et Mariam, c’était plus que de la musique. C’était une philosophie. Une ouverture à l’autre. Une manière de transcender les barrières : de langue, de vue, de genre musical. Leur art était accessible, lumineux, profondément humain.
L’influence de Manu Chao a été déterminante dans leur carrière. Il a donné à leur son une teinte urbaine, planétaire, sans jamais trahir l’authenticité malienne. L’album Dimanche à Bamako est aujourd’hui un jalon dans l’histoire des musiques du monde.
Et maintenant, Mariam ?
« Je suis seule désormais », a confié Mariam, bouleversée. Après un demi-siècle de vie partagée sur scène et dans l’intimité, elle se retrouve sans son compagnon de route, d’amour, de création. Et pourtant, si la voix d’Amadou s’est tue, celle de Mariam demeure. On la sait forte, digne, enracinée dans la musique comme dans la foi. Sa récente prestation lors de la clôture des Jeux paralympiques de Paris, où le couple interprétait "Je suis venu te dire que je m’en vais", résonne aujourd’hui avec une émotion troublante.
Mariam saura-t-elle poursuivre seule ? Sans doute. Mais son art ne sera plus jamais le même. Il portera désormais le deuil d’un homme, d’un duo, d’une époque.
Un départ, un souvenir éternel
À Bamako, le recueillement continue. Les hommages affluent : Youssou N'Dour, Sidiki Diabaté, Fally Ipupa, Emmanuel Macron… Tous saluent l’homme et l’artiste. Manu Chao, ému, écrit : "On sera toujours ensemble... avec toi partout où tu iras".
Et c’est vrai. La musique d’Amadou continuera à vivre. Dans les cœurs. Sur les dancefloors. Dans les mariages. Dans les radios d’Afrique et d’ailleurs. À chaque dimanche.
Amadou est parti. Mais Amadou est là.
Discographie sélectionnée d’Amadou & Mariam
Se Te Djon Ye – 1999
Sou Ni Tilé – 1999 (premier album distribué internationalement, incluant Je pense à toi)
Tje Ni Mousso – 2000
Wati – 2002
Dimanche à Bamako – 2004 (produit par Manu Chao, album de la consécration internationale)
Welcome to Mali – 2008 (incluant “Sabali” avec Damon Albarn)
Folila – 2012 (collaborations avec Santigold, TV on the Radio, etc.)
La Confusion – 2017
La Vie est Belle – Best of 1998–2024 – 2024 (compilation rétrospective)