Alors qu'on le croyait affaibli voire disparu, le front républicain a surpris par sa remarquable vigueur durant l'entre-deux-tours des législatives, contrecarrant toutes les prévisions des analystes.
Comme en 2022, lorsque le score du Rassemblement national avait été largement sous-estimé avant le second tour, les résultats des élections législatives anticipées de 2024 ont déconcerté tous les experts.
L'extrême droite va obtenir environ 143 députés dans la prochaine législature, bien moins que les projections les plus pessimistes publiées vendredi, qui leur attribuaient au moins 170 ou 175 sièges, et jusqu'à 210 ou 215.
« Le barrage républicain a fonctionné de la part des électeurs de gauche, c'était évident, mais aussi des centristes, macronistes et de droite, ce qui est plutôt un enseignement intéressant, » observe la politologue Frédérique Matonti.
Les chiffres des transferts de voix sont impressionnants. Ainsi, les électeurs du NFP au premier tour ont massivement voté contre le RN au deuxième tour, lorsque leurs propres candidats se sont désistés : 72 % ont soutenu un candidat macroniste et 70 % un candidat LR, selon une étude Ipsos-Talan.
De même, les électeurs ayant choisi le camp présidentiel au premier tour se sont portés à 54 % pour la gauche dans le cas d'un duel entre PS-Ecologistes-PCF contre le RN et tout de même à 43 % pour un candidat insoumis face au parti à la flamme.
Même les électeurs des Républicains ont choisi à 26 % un candidat insoumis contre le RN, alors qu'ils étaient 38 % à soutenir le parti lepéniste... Pourtant, tous les leaders de LR avaient adopté une position "ni LFI-ni RN", voire "ni NFP-ni RN" pour certains.
Avec une participation finale de 66,63 %, et parfois bien plus dans des circonscriptions décisives, le barrage au RN a pleinement fonctionné.
Dans le Vaucluse, l'élection du militant antifa Raphaël Arnault, pourtant régulièrement critiqué comme « le candidat fiché S » durant la campagne, illustre parfaitement le phénomène. Ce dernier a ainsi battu le RN avec 55 % des voix et un score plus que doublé en nombre de voix par rapport au premier tour.
« Le front républicain anti-RN s'est encore renforcé, » explique le président délégué d'Ipsos Brice Teinturier. « En 2022, personne n'envisageait une victoire du RN. Là, à l'issue du premier tour, la menace devenait concrète, donc le Front républicain s'est remobilisé. »
« Malgré tout ce qu'on peut dire sur la banalisation du RN, les électeurs le considèrent encore comme un parti dangereux et sont prêts à se mobiliser pour des candidats très éloignés de leurs préférences, » prolonge le politologue et professeur à Sciences Po Grenoble Simon Persico.
Cette erreur d'analyse des instituts, comme il y a deux ans, relance le débat sur la fiabilité des projections en sièges, qui ne sont pas contrôlées par la commission des sondages contrairement aux mesures d'intentions de vote à l'échelle nationale.
Certains instituts, comme Ipsos, s'étaient d'ailleurs abstenus de publier des projections avant le premier tour en raison de leur fragilité, faute de pouvoir quantifier les désistements, finalement très nombreux.
Autre explication, le nombre élevé de duels serrés : dans une quarantaine de circonscriptions, le vainqueur a obtenu moins de 51 % des suffrages exprimés. Des circonscriptions pivots particulièrement difficiles à prédire.
Le calendrier resserré de l'entre-deux-tours, avec un dépôt de candidature le mardi à 18H00 et une fin de campagne le vendredi soir, a également laissé peu de marge de manœuvre pour mesurer la dynamique des dernières heures précédant le vote, pourtant décisives.
Cela avait déjà été le cas lors des européennes de 2019, avec une montée inattendue des Écologistes dans le sprint final et une baisse imprévue du score de la liste LR.
En 2024, les scores du RN n'ont cessé de baisser au fil des jours de la semaine, alors qu'une majorité absolue était encore envisageable au soir du premier tour. La tendance n'a fait que s'accentuer.
« Je n'ai cessé durant la semaine de dire que le RN n'aurait pas la majorité absolue et que c'était en train de refluer, » se défend Brice Teinturier. « On n'a pas été entendus. »